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Pas de sanction disciplinaire reposant uniquement sur des témoignages anonymes

Public - Droit public général
19/04/2023
Dans une décision rendue le 5 avril 2023, le Conseil d’État a annulé une sanction disciplinaire infligée à une agente pour des faits relatés uniquement à travers des témoignages anonymes. Il considère qu’en cas de contestation de la véracité des faits par l’agent, l’administration est tenue de produire des éléments permettant de démontrer cette véracité.
Une agente contractuelle de Pôle emploi a été sanctionnée pour avoir, au cours d’une formation qu’elle animait, « dénigré Pôle emploi et certains de ses collègues, et tenu des propos sexistes et homophobes ». L’agente a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une demande d’annulation de la sanction, qui a été rejetée. Elle a ensuite obtenu gain de cause en appel. Pôle Emploi demande au Conseil d’État l’annulation de l’arrêt d’appel.
 
L’autorité peut légalement infliger une sanction fondée sur des témoignages anonymes
 
La Haute cour déclare, dans un arrêt du 5 avril (CE, 5 avr. 2023, n° 463028, Lebon T.) qu’une sanction peut bien être infligée à partir de témoignages anonymes : « l’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut légalement infliger à un agent une sanction sur le fondement de témoignages qu'elle a anonymisés à la demande des témoins, lorsque la communication de leur identité serait de nature à leur porter préjudice ».
 
Le Conseil précise toutefois que si l’agent sanctionné « conteste l'authenticité des témoignages ou la véracité de leur contenu », la charge de la preuve pèsera sur l’autorité à l’origine de la sanction. Il appartiendra alors à cette dernière « de produire tous éléments permettant de démontrer que la qualité des témoins correspond à celle qu'elle allègue et tous éléments de nature à corroborer les faits relatés dans les témoignages ».
 
Le Conseil précise enfin comment le juge doit trancher le litige, en déclarant : « La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ».
 
En l’espèce, l’ensemble des éléments sur lesquels l’autorité investie du pouvoir de sanction s’est appuyée pour adopter cette sanction ont été anonymisés :
  • des témoignages de personnes ayant assisté à la formation,
  • une synthèse, dont l’auteur est anonyme, d’une enquête téléphonique réalisée auprès d’agents anonymes également, et qui ont refusé de confirmer leurs propos par écrit.
 
Nécessité d’éléments suffisant à prouver la réalité des faits
 
La cour administrative d’appel a estimé, « par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les éléments anonymisés produits ne suffisaient pas à apporter la preuve de la réalité des faits contestée par l'intéressée ». Le Conseil considère qu’elle n’a pas commis d’erreur de droit et rejette le pourvoi.
 
Le Conseil d’État avait annoncé dans une décision de section de 2014 que la preuve était libre : « en l'absence de disposition législative contraire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen », sauf pièces ou documents obtenus en méconnaissance de l’obligation de loyauté (CE, sect., 16 juill. 2014, n° 355201, Lebon).
 
Il s’était également à plusieurs reprises appuyé sur des témoignages anonymes. Le rapporteur public rappelle qu’il a, par exemple, admis que le juge disciplinaire des enseignants-chercheurs pouvait utiliser des témoignages anonymes pour protéger des étudiants (CE, 9 oct. 2020, n° 425459, Lebon T.).
 
Toutefois, dans l’affaire traitée ici, la cour ne s’était fondée que sur des témoignages anonymes, ce qui entraine une insécurité juridique pour la personne sanctionnée. Ce qui importe est que l’agent sanctionné puisse contester les témoignages. S’ils sont anonymes, l’administration devra prouver leur authenticité, afin d’éviter le risque d’une sanction arbitraire. Pour le rapporteur public Nicolas Labrune d’autres éléments pourront être nécessaires pour étayer les témoignages, car plus les témoignages sont anonymes moins ils sont probants.
Source : Actualités du droit